vendredi 23 novembre 2012

CHAPITRE 2


Il faillit tomber tant son émerveillement fut grand. Devant lui, dans toute sa splendeur et sa majesté, se dressait le palais du Roi Balgar. Pour en avoir souvent entendu parler, Arion pensait que le spectacle le laisserait indifférent. Ce qui ne fut naturellement pas le cas. Dès lors, il comprit pourquoi les récits des poètes la qualifiaient, pour la plupart, de forteresse imprenable, et que, malgré tout ce qui avait pu arriver, jamais la citée n'avait cédée sous le feu de l'ennemi. Perchée sur un roc, ses hautes tours déchirants les cieux, Daroh la grande narguait le monde de sa prestance.
— C'est la reine Dariah qui fit bâtir ce palais pour la sécurité de son peuple et de sa descendance, commença Sir Daktiro, elle en conçut elle même les plans, ainsi que tous les passages secrets. De l'extérieur il ne paraît pas très impressionnant, mais il faut que tu vois l'intérieur et les salles souterraines. Jamais édifice humain ne fut aussi merveilleusement complexe. Nombreuses furent les races qui participèrent à sa construction. Mais tu découvriras tout cela par toi même. 
Arion écoutait attentivement et remarqua que plus ils approchaient du palais, plus le noble se faisait bavard. Bavard certes, mais pas stupide. Il éludait avec brio les questions pertinentes du jeune homme.
Sir Daktiro le mena dans l'enceinte de la forteresse et le guida au travers d'interminables couloirs, il lui fit gravir quelques longs escaliers et l'arrêta face à de lourds pans de tissus rouges.
— Te voici aux portes de la bibliothèque. Un conseil, ne touche aucun livre sans la permission du roi.
— Et comment l'obtiendrai-je ? Demanda finement Arion.
— Je ne pense pas que tu en aies le temps même si je te disais comment t'y prendre.


*

— Le Seigneur Alfard demande audience. Dois-je lui signifier d’attendre ?
Balgar rit de bon cœur à l'adresse de son serviteur, puis reprenant son calme lui répondit :
— Jeune homme sachez une chose, même moi, roi de Daroh, n'oserais faire patienter le roi Alfard. Qu'il entre et qu'on nous laisse. Personne à part toi ne doit pénétrer dans cette chambre, Herick. Reste devant la porte, je t’appellerai si j'ai besoin de tes services.
Herick s'éclipsa d'une révérence, cédant sa place à une ombre. Balgar se redressa dans son lit, le dos appuyé sur une multitude de coussins, en robe blanche, le visage las, les traits tirés par la fatigue.
— Comme le temps passe vite, l'empreinte de la mort se fige inexorablement sur vos chairs et votre corps pourrit. Quel dommage... jadis votre bras était puissant et le roi que vous êtes ne devrait pas finir ainsi. 
Il marqua une courte pause durant laquelle il ôta son capuchon, dévoilant des traits fins, et une blondeur parfaite. 
— Je suis venu au plus vite selon vos désirs. Parlez, il me semble que vous aviez quelques révélations à faire avant que la mort ne vous prenne.
— Merci mon ami d'avoir fait si vite. Comme vous avez pu le constater, ma santé ne va pas en bien et le roi que je suis finira par s'éteindre, laissant sa place à un autre. Un pâle seigneur grassouillet qui ignorera tout des événements qui surgissent par delà nos frontières. Un roi qui ne connaîtra rien de nos alliances et qui ne pourra honorer nos traités de paix. Un jeune noble aisément manipulable par la bande de crapules qui sillonnent ce palais.
Les traits de l’elfe se figèrent, une violente secousse fit trembler les murs de la chambre, Balgar avait visé juste, il savait son ami très attaché à leurs accords.
— Je ne pactiserai pas avec un roi placé sur le trône par intérêt ! Mon peuple aime sa paix et sa tranquillité, vous avez su le comprendre et l'accepter en ne réclamant rien.
— Votre aide est déjà plus que précieuse, répondit patiemment Balgar, pourquoi, demanderais-je plus que ce dont j'ai besoin pour mes gens ? 
— Trop peu pensent comme vous mon frère. Les humains changent sans cesse d'avis, ils ne fixent pas leur esprit, ne respectent plus les serments. Ils sont dépendants des autres pour évoluer. Mais vous, vous avez réussi à mener votre peuple bien plus loin que ne l'avait fait Dariah en considérant nos traditions et nos désirs de paix. Pourtant... j'ai comme l'impression qu'aujourd'hui vous allez briser un serment et me demander de vous rendre le plus inestimable de tous les services.
Balgar dédia à son vieil ami un sourire compréhensif et poursuivit d'un même ton :
— Je ne brise aucun serment tant que je n'exige pas ou ne trahis pas. Ce que je vais vous demander est un acte d'une très grande ampleur j'en suis conscient, mais voyez-vous, c'est vous même qui l'avez dis, le roi que je suis ne devrait pas finir ainsi.
— C'est dans ce but que tu m'as fait venir mon frère ? et que feras-tu si jamais je refuse ?
— Un autre prendra ma place, puis encore d'autres et la lignée de Dariah s'effondrera comme l'eau ronge la pierre.
— Le chantage ne marche pas avec moi et tu le sais. Dis-moi ce que tu as appris sur Kalicha et laisse-moi repartir auprès de mon peuple. 
— Je suis au courant de bien des choses sur la réincarnation de Kalicha, sur Solstyce, que feras-tu si jamais mon esprit s'égarait dans les méandres de la mort ?
— Cette discussion ne mènera nulle part. Tes rides ne t’autorisent pas à me considérer pour un gamin.
Balgar prit le temps de peser ses mots, il savait ses heures comptées aussi se résigna-t-il, après avoir écumé toutes les possibilités dans sa tête, à lui demander cela le plus simplement du monde. Après tout, il n’avait plus rien à perdre.
— Alfard, préserve-moi de la mort.
L'elfe lui tourna le dos volontairement et se dirigea vers la porte.
— REGARDE-MOI ALFARD ! Je suis ton égal ! Telles sont les lois de nos traités ! Ose me dire que je ne mérite pas au moins cela ! Après tout ce que j'ai fait pour ce monde, ces peuples, ces terres, que j'ai protégées au risque de ma propre vie. Tu étais à mes côtés, tu m'as vu lutter. Tu sais que je ne fais pas un caprice, que je ne suis pas un lâche. Si je te demande cela, c'est qu'il me reste une dernière mission à accomplir. Je suis l'instrument du destin, les rêves parlent Alfard, il suffit de décoder leurs messages. Mais j'ai besoin de toi, tu es la seule personne en qui j'ai pleinement confiance.... Mon frère... ne me tourne pas le dos... pas aujourd'hui...
L'elfe jugea l'humain en face de lui. Dans ses propos il reconnut le noble souverain qui l'accompagna lors d'innombrables batailles. Le silence qui régnait dans la chambre royale était glacial, jamais Balgar n’avait ainsi explosé de colère devant son ami. Alfard s’approcha de sa couche et retira les lourdes couvertures recouvrant le corps fragile du vieillard.
Il n’avait plus rien d’un fier guerrier, ses jambes semblaient comme abandonnées, au bout d’une carcasse qu’elles ne pouvaient plus porter, sa peau croutait par endroits et les veines saillantes manquaient de claquer au moindre geste brusque. Après un rapide examen Alfard passa la main au-dessus du front du malade, une lumière blanche apparue et effleura les joues creuses, bientôt elle l’enveloppa entièrement. 
Une larme tomba sur les membres désertés de toute volonté et Balgar s’abandonna à la main guérisseuse de son frère d’armes. 
— Ton corps gardera la marque de la vieillesse. Je ne puis aller à l'encontre de ce changement ordonné par notre mère Celesta. L'heure de ta mort, en revanche, tu devras la négocier avec Mordreka. Tu demeureras en vie plus longtemps que n'importe quel humain et jamais tu ne seras atteint par la maladie. Comme moi, tu pourras choisir ta fin.
Le roi bondit de son lit et serra son vieil ami d'une étreinte fraternel. Il rappela Herick et lui ordonna de lui porter ses affaires et armes. Surpris, mais rassuré, le jeune serviteur s'exécuta, adressant au seigneur elfes un large sourire de remerciement.

*

Flânant dans les allées de la bibliothèque Arion ne se rendit pas compte immédiatement qu'il avait perdu de vue son guide. Il tenta d'effectuer le chemin en sens inverse, mais il se rendit bien vite à l’évidence, cela n'avait aucun sens. En effet, il n'avait pas regardé où il mettait les pieds, trop intrigué par les ouvrages présents sur les étagères poussiéreuses. Tant pis, il décida de ne plus bouger, espérant que le noble remarque rapidement son absence et vienne le chercher. La curiosité le rongeait, après tout, pourquoi attendre une éventuelle permission royale pour lire un livre ? Il tendit alors la main, mais son geste fut rapidement intercepté.
— Je croyais t'avoir dit qu'il fallait une ordonnance du roi pour pouvoir y toucher.
— Sir Daktiro, j'ai cru vous avoir perdu.
— C'est pourtant ce qu'il s'est passé, mais fort heureusement, moi, je regarde où je marche. Allez suis moi, nous n'avons pas le temps de nous attarder ici. 
Cette fois-ci, Arion prit soin de ne pas le lâcher du regard et le suivit jusqu'à une immense tapisserie que ce dernier l'invita à admirer. Il ne lui trouva pas grand intérêt néanmoins, le noble insista et bientôt il en comprit la raison. Quelqu'un s'en approcha. Un jeune homme d'à peu près l'âge d'Arion activa un levier caché derrière une tête de statue et la toile se déplaça légèrement. Une petite porte apparut et le serviteur les invita à entrer.
— C'est la dernière ligne droite Arion. Pour quelqu'un d'aussi curieux que toi, tu ne poses pas beaucoup de questions. 
— Je suis les instructions Sir et j'attends.
— Alors, vois par toi même. Surtout, sois bien prudent, les personnes que tu rencontreras ne sont pas de simples nobles. Tes manières un tant soit peu arrogantes peuvent te faire défaut en ce lieu. Sache que l'humilité est ta plus puissante arme. En ce qui me concerne, c'est là dessus que je vais jouer. J'ai été ton guide jusque-là. À présent tu devras te débrouiller sans moi.
Arion acquiesça et s'engouffra à sa suite dans la petite porte camouflée, puis il entendit la tapisserie reprendre sa place d'origine et le serviteur alluma une torche. Il tendit une main ferme à Arion et se présenta :
— Je suis Herick. Serviteur de Sa Majesté, je suis chargé de te mener face à lui.
Guidés par Herick, ils pénétrèrent dans une vaste salle, ce dernier lui indique son siège, et l'invita à s'y asseoir. Prudent, Arion s'y dirigea et tenta d'apercevoir les visages des deux personnes déjà installées. Herick lui inspirait confiance, il devait avoir son âge environ, un garçon banal aux cheveux châtains de corpulence moyenne, pas plus grand que lui.
— Assieds-toi. Lui murmura Herick.
Arion obéit au jeune serviteur et laissa ses yeux s’habituer à l’obscurité. De longues minutes s’écoulèrent dans le silence le plus total quand soudain il entendit un fauteuil grincer puis un second. Il retint sa respiration un instant, cherchant à distinguer les deux nouveaux arrivants. 
— Tu lui as envoyé une missive ? Demanda le premier homme.
— Bien sûr ! Pour qui me prends-tu ? Répondit une voix grave.
— Tu lui as dit que je venais ?
— Pourquoi ne le lui aurais-je pas dit ?
— Je ne sais pas c'est juste une question... Et que disait ton message ?
— Bien... Rien de très grave... je me suis juste assuré que ma convocation soit assez percutante pour la faire sortir de sa retraite...
À nouveau un silence de plomb s’instaura entrecoupé de quelques craquements de doigts. Puis, aussi soudainement que la foudre s’abattant sur un arbre, l’un des fauteuils se recula précipitamment dans un bruit sourd et l’homme à la voix grave se redressa de toute sa hauteur.
— Que l'on brûle les torches à l'entrée de notre invité d'honneur, Herick ! 
Obéissant, mais tremblant, le serviteur s'exécuta et Arion put enfin voir le visage de ses hôtes. Un frisson de terreur l'envahit. Le dernier arrivant était la personne qu'il avait aperçue sur les remparts. Ne comprenant pas très bien ce que tout cela pouvait bien signifier il se tourna vers les deux hommes et quelle ne fut pas sa surprise de découvrir le roi Balgar, debout devant lui. Voyant son invité incapable de réagir, le vieux souverain lui dédia un clin d’oeil complice avant de lui désigner l’autre homme d’un geste de la main. Il s’arrêta de respirer, c’était un elfe, sa longue chevelure blonde et ses yeux d’un bleu limpide trahissait sa haute naissance. Il douta un instant de se trouver devant un simple représentant de cet illustre peuple et il se surprit à espérer qu’il s’agisse du roi des elfes, qu’aucun mortel n’avait jamais vu, d’après les dires des petites gens.
— Asseyez-vous mes amis, je vous pris. Herick, retire ses vêtements à Sa Majesté et laisse-nous. 
Cela confirma au moins les soupçons d’Arion quant au statut des personnes réunies ici. Le serviteur s'exécuta à nouveau et le cœur d'Arion ne fit qu'un tour. C'était une femme, la plus belle qu'il ait jamais rencontrée de toute sa vie. Elle les inspecta tous et sembla se durcir à la vue de l'elfe.
— Alfard. Cracha-t-elle. Je constate que tu es malheureusement venu. 
— Je suis ravi de te revoir moi aussi Apus. Mais je t'en pris, prends un siège.
Elle lui adressa un regard meurtrier et pris place à côté d'Arion. Ce dernier n'osait même plus bouger tant son cœur se serrait dans sa poitrine. Il avait l'étrange et poignante sensation d'avoir déjà été en contact avec cette femme, ailleurs que lors de leur rencontre sur les remparts. Il tentait de fouiller sa mémoire, mais quelque chose dans son esprit sembla lui interdire l'accès à une partie de son passé. Il la contempla un long moment, cherchant un défaut à ce corps et ce visage si parfait. Ses grands yeux verts se plongèrent dans ceux du jeune homme, d’une main gracieuse elle arrangea sa chevelure d’ébène et lui sourit. 
— Je suis mal coiffée ? Demanda-t-elle taquine.
Arion ne sut quoi répondre, pouvait-on faire de l’humour avec une reine ? Il n’en savait rien, sentant ses interrogations et sa peur Apus lui ébouriffa les cheveux.
— Je rigole Arion, ne te tracasse pas, nous allons bientôt t’expliquer la raison de tout ceci.
— Bien, entama Balgar, tachons de nous présenter à notre invité. Je suis simplement ton roi, Balgar pour les intimes. À ma droite, Alfard Seigneur des elfes et gardiens de la forêt étoilée et à ta gauche, jeune Arion, Apus, Souveraine éternelle du peuple des Galaxies, protectrice des Terres Uniques et fille de Celesta. Tu connais déjà Sir Daktiro qui fut ton guide jusqu'à nous. 
Arion acquiesça tâchant de faire bonne figure.
— Je... Je ne sais même pas ce que je fais ici, Votre Majesté... balbutia-t-il gêné.
— Comment ? Mais personne ne t'a expliqué ? Comme on dit chez moi, laissons les poètes raconter les histoires. Alfard... À toi l'honneur... 
L'elfe se leva et porta un regard attentif sur Arion avant de s'adresser à lui glacial :
— Ôte tes gants et mets tes mains en évidence. Parfais, à présent ne bouge plus et vide ton esprit. 
Le seigneur elfe appliqua une légère pression sur son avant-bras droit et le symbole apposé par Mordreka s'anima d'un feu diabolique.
— Comme c'est intéressant, murmura Alfard, maintenant sort ce que tu caches dans ta poche.
Arion jeta un regard paniqué autour de lui. Dévoiler cette marque lui était déjà pénible, mais le cadeau de la déesse des océans lui paraissait trop précieux pour que quelqu'un le touche de quelque manière que ce soit.
— Arion, nous ne te la volerons pas. Le rassura Apus. Simplement, il nous faut la voir afin d'être sûrs de ton identité.
Incapable de lui refuser quoi que ce soit, le jeune homme obéit aux ordres. Lorsqu'il la posa sur la table, la pierre sembla se vexer et inonda la pièce d'une puissante lumière bleue comme pour montrer son mécontentement. 
— Je crois que tu peux la reprendre, lui dit Apus, un sourire bienveillant à son attention, elle dit qu'elle n'aime pas être éloignée de toi. Arion s’en empara et la serra entre ses mains. La pierre lui rendit son affection, calma la douleur de la marque réveillée par le roi elfe, et s'endormit.
— Parfait, poursuivit Alfard, à présent que ces secrets sont révélés il est grand temps pour toi de connaître la vérité sur tes origines, ton passé et ton avenir. Ce pour quoi tu es ici aujourd'hui. Je te prierai de ne pas me couper, ce récit m'est assez pénible à raconter. Pour commencer, connais-tu Kalicha et Solstyce ?
Le jeune homme fit « non » de la tête.
— Ils étaient les héros de la première guerre contre le Dieu-Démon. Il y a plus de mille ans, ils se sont battus pour protéger les Terres Uniques. Kalicha, un grand guerrier, était un mortel, comme toi, choisit par les déesses pour anéantir la menace qui pesait sur notre monde. Solstyce quant à elle, une divine création, elle demeure la souveraine du peuple des dragons et se fait nommer leur Dompteuse. L'Impératrice de la Mort a dût te montrer des images de leur passé, des souvenirs de la Première Guerre.
Arion acquiesça
— Parfait, cela m'évite une bien longue histoire... Ce que tu as besoin de savoir, pour l'heure, c'est que Kalicha s’est réincarné en toi, car, comme il y a mille ans, le Dieu démon s'éveille à nouveau et notre monde s'apprête à sombrer inexorablement dans le chaos et le sang. Tu es celui élu par les quatre Divines pour mettre un terme à ce conflit ancestral. Alors pourquoi toi me demanderas-tu ? Je ne sais pas, de même que durant près de quatorze longues années j'ai ignoré ton existence. Mais ce n'est pas un hasard si tu fus choisi, ton père avant toi, mena cette bataille.
— Mais il est fermier, rétorqua Arion amusé par cette affirmation, au mieux, il pourrait manier la fourche... 
— Cet homme dont tu me parles, ainsi que son épouse, ne sont pas tes véritables parents. Demandes à Apus, c’est elle qui détient les informations relatives à ta naissance.
Arion remercia Alfard d'un bref signe de la tête et se tourna intrigué vers la souveraine des Galaxies, tentant de soutenir son regard. En vain.
— Ne cherche pas à lutter contre moi jeune Arion. Il n'y a rien que je ne sache pas en ce monde. Je suis La Mémoire des Terres Uniques, gardienne des secrets de notre temps, et des temps passés. Tu désires connaître les circonstances de ta naissance et pourquoi tu n'as pu vivre parmi les tiens ?
— C'est un point de vue intéressant, voire même envisageable. Après tout ça me concerne non ?
Apus se dressa face à lui, empli de colère et d’indignation.
— Ne joue pas à ce jeu-là avec moi ! et parle-moi sur un autre ton ! 
— Veuillez m'excuser Majesté, ironisa-t-il, j'ignore tout des uses et coutumes de la haute société. Après tout, je ne suis qu'un enfant de la ferme. 
Arion était, lui aussi, au bord de l’explosion, il n’était pas venu au palais pour se voir raconter des histoires abracadabrantes sur ses soi-disant géniteurs. Ils ne les connaissaient d’ailleurs même pas. Mais d’un autre côté il avait la désagréable impression d’avoir vécu dans le mensonge toute sa vie, que ses parents n’avaient pas été honnêtes avec lui. Pourtant ils étaient ceux qui avaient veillé sur lui, qui l’avaient nourri, soigné et aimé... Peu importait au final d’où il venait, il savait à qui il devait son éducation. Non, personne ne pourra jamais les remplacer, il en était persuadé.
Les deux interlocuteurs se dévisagèrent longuement, Apus n'avait pas l'habitude d'être ainsi traité par un mortel.
— Et bien voilà qui promet ! Scanda Balgar amusé. « Allons Apus, ne te vexe pas, et considère ce jeune homme comme digne d'appartenir à ton peuple. Je trouve, au vu de son parler franc, qu'il vous ressemble un peu.
— Et pour cause, poursuivit Apus, ta mère était une de mes guerrières d'élite. Tombée amoureuse de ton père elle lui donna un enfant. Mais nous savions que tu ne serais pas en sécurité parmi nous, aussi, malgré les propositions de nos alliés pour ta protection, elle décida de te confier à des proches parents de ton père, chez qui elle l'espérait, tu vivrais en toute innocence loin des ravages de la guerre et des conflits chaotiques qui bouleversent notre monde. Comme toi, ton père fut choisi par les quatre Divines pour mener à bien une mission périlleuse, anéantir le Dieu Démon. Mais il échoua, et ta mère, à sa mort, sombra dans les ténèbres et s’éteignit, le cœur déchiré par la tristesse et le désespoir. Aujourd'hui, contre sa volonté, nous t'avons retrouvé. Tu es l’élu. Comme Kalicha, comme ton père Ketlais, tu devras partir au combat. Telle est la destinée qui t’es promise par les quatre Divines. Et notre devoir, en tant qu'alliés, est de s'assurer que tous les moyens soient mis en œuvre pour te permettre d'accomplir ta tâche.
Apus marqua une pause et scruta le jeune homme dans l'attente d'une réaction.
— Bien ! Lâcha Arion froidement. « Parfait ! Je suis le fils d'un prétendu héros mort bravement au combat et d'une galaxie dépressive. Quoi d'autre ? Qu’attendez-vous exactement de moi ? Où dois-je me rendre ? Qui dois-je tuer pour vous ? 
— Tu le prends mal mon garçon. Tenta de temporiser Balgar qui sentait naitre les prémices d’une dispute fulgurante.
— JE NE LE PRENDS PAS MAL ! Se déchaîna Arion. Vous venez dans vos beaux habits m'annoncer que je dois partir à la mort ! En fait vous vous en moquez de moi ! Je n'ai pas envie de me battre. Je me fiche de votre foutue guerre et de ce satané Dieu Démon. Je rentre chez moi. 
— SILENCE ! S'écria Alfard. « Je n'ai pas quitté mes terres pour me retrouver en face d'un gamin capricieux et stupide ! 
— Et les elfes ne sont pas très diplomates, coupa Apus d'un ton sec, laisse-lui au moins le temps de comprendre...
— Il n'y a rien à comprendre ! Il est la réincarnation de Kalicha un point c'est tout ! 
— Arrêtes, veux-tu ! Tu es mal placé pour juger son choix et les nôtres ! Dois-je te rappeler ce qu'il s'est passé il y a maintenant exactement quinze ans ? Tu ne vaux pas mieux que ton père, mais lui au moins a su mourir avec honneur. Veux-tu finir comme lui Seigneur Alfard ? Oses, ne serais-ce qu'à nouveau t'adresser à cet enfant sur ce ton et tu partiras le rejoindre sans sommations ! 
Un silence terrible s'instaura dans la pièce et nul n'osait plus respirer, les deux alliés approchèrent la main de leur épée quand la porte s'ouvrit brusquement accompagné d'un rire tonitruant.
— Haaaaaaaaaaaaa ! C'est donc ici que vous vous terrez vieux loup ! 
L'intrus s'arrêta sur le pas de la porte et fixa la scène d'un regard amusé. « Encore vous vous chamaillez ? Rha ! La peste emporte les idiots de votre genre ! Allez, rangez vos couteaux de cuisine, je veux entendre des cris de joie, car c'est le grand Einkill qui se joint à votre noble compagnie ! 
Balgar traversa la pièce d'un bond et se rua vers son ami.
— Quel plaisir de te revoir vieux frère ! Sois le bienvenu parmi nous. Tu connais déjà tout le monde, je crois ?
— Pour sûr ! Hoooooooooo ! (Il posa ses yeux sur Arion) Le fils de Ket' ! Mais il est tout maigre... Ses bras s'raient même pas bon à t'nir une hache ! Et en plus j'parie qu'il sait pas s'battre ! Va tout falloir lui apprendre à c'jeune là...
— Bon écoutez, ça suffit comme ça je rentre j'en ai assez. Trancha Arion.
Le nain l'intercepta à la sortie, lui bloquant le passage.
— Et où qu'tu comptes aller comme ça gamin ?
Arion hésita, il faisait bien deux têtes de moins que lui, mais sa masse corporelle semblait compenser ce manque de taille. Aussi ne se risqua-t-il pas à forcer le passage.
— Je rentre chez moi, à la ferme ! 
— J’t'adore, tu sais ! J'l'adopte ce p'tit gars-là ! 
— Parfait tu restes avec lui alors. Moi, je vais arbitrer la millième querelle entre Apus et Alfard...
— Bah ! Te donne pas cette peine Balgar. Un d'ces quatre ils s'ront fatigués d'se disputer et tout ça finira au lit ! R'tient bien c'que j'viens d'te dire l'ami ! 
— Mouais, bon, en attendant on y va. Suivez-moi vous deux ! Ordonna-t-il à l'adresse des deux combattants. 
Résignés, Alfard et Apus quittèrent la pièce. Si l'un avait pu tuer l'autre d'un simple regard, ce serait déjà chose faite. Einkill se tourna alors vers le noble.
— T'es qui tôa ? C'est quoi ton p'tit nom ?
— Sir Daktiro, et l'enfant est placé sous ma garde ! 
— Ouais bien plus maint'nant ! Allez, suis moi gamin on va marcher un peu ça nous f'ra du bien ! 
Le jeune homme suivit le dénommé Einkill, il l'amusait un peu avec sa barbe blanche soigneusement peignée et ses manières rustres. Et puis, comme un instinct, un ressentit trop puissant, trop présent pour qu'il puisse l'exprimer, il savait, il sentait, qu’Einkill – si petit soit-il – pourrait lui fournir des explications. 
Le nain le traîna sur la place de la cité et se campa au beau milieu de la foule adressant un large sourire à son compagnon. Lequel répondit d'un haussement de sourcil intrigué.
— Choisis une taverne gamin, j'ai soif, alors pour moi ça s'ra une bonne bière bien fraiche.
— Vous voulez un endroit en particulier où n'importe laquelle ira ?
— Réfléchis T'as des questions à m'poser non ? Tu veux pas savoir des choses ? Moi, connaissant ces bougres de seigneurs, j'suis persuadé qu'ils t'ont rien donné d'bon à gober comme informations ou alors c'est qu'Balgar a pas trop eu envie d'éterniser c'te réunion... Enfin en tout cas maint'nant j'suis là et c'est à moi d'répondre à tes questions. Mais j'te préviens gamin ! J'suis pas un roi ou un d'ces nobles en jupettes prêts à faire des courbettes à la première putain qui passe ! J'suis un général moi ! J'aime pas les longs discours, j'aime qu'les histoires intéressantes et les batailles. Alors, choisis la taverne appropriée et buvons à nous en faire exploser la panse ! 
Arion adressa au nain un large sourire et en désigna une, aux abords de la place.
— Mouais bonne pioche gamin ! « Douce Mélodie » hé hé... Allons voir c'qui dort là bas. 
Ils entrèrent dans le lieu-dit et l'humeur du nain se fit plus joviale. Il se dirigea d'un pas pressant vers le comptoir, bouscula les quelques irréductibles accroches au bar et grimpa sur un des hauts tabourets. De là, il examina la salle et trouva sa table.
— Holà Tavernier ! Interpella-t-il grossièrement le patron. J'offre une tournée générale à tout ce beau monde ! 
La foule éclata d'euphorie et ce fut rapidement l’anarchie. Einkill, quant à lui se rapprocha du tenancier et lui tendit une bourse emplit de pièces il la fit amoureusement tinter entre ses larges mains et ordonna à l'homme de libérer la table du fond et de remplir les chopes dés qu'elles seraient vide. 
— Pourquoi avoir payé une tournée à tous ces gens ? demanda Arion curieux après s'être installé.
— R'garde bien gamin, ils sont tellement occupés à boire qu'aucun d'ces brigands n'prendra la peine d'écouter not' discussions. Le patron a été gagé suffisamment pour qu'il tienne sa langue pendant plusieurs siècles ! Bon et si on en v'nait à l'essentiel ? Poses tes questions que j'vois si j'peux y répondre déjà.
Arion se rajusta sur sa chaise et inspira un grand bol d'air. Il avait tant d’interrogations. Par où commencer ? Finalement il choisit la plus simple :
— Pourquoi je n'ai jamais su qui étaient mes vrais parents ?
— Tu sais... au début tout l'monde pensait qu'ton père était comme Kalicha, qu'c’était l'bon guerrier. Il a vécu parmi les peuples d'la forêt et a rencontré ta mère. Une belle femme ta mère. Quand t'es né, elle a voulu t'protéger. T'sais gamin, les enn'mis d'not' mondes reculent d'vant aucune bassesse pour par'vnir à leur fin. Elle avait peur qu'les démons t'tuent pour affaiblir Ketlais alors elle t’a confié aux humains. Et puis ont dit aussi que quand elle a appris la mort de son époux elle s'est laissé mourir de chagrin. Mais bon... y'a d'aut' trucs aussi... Il faut qu'tu saches qu'les Galaxies ont été créées par Celesta, c'est des guerrières nées. Normal'ment elles sont pas faîtes pour avoir des enfants, mais ça arrive. T'en es la preuve vivante gamin d'ailleurs. Par cont' elle aurait jamais pu te nourrir au sein. Seule la reine à ce privilège alors Ristram lui a proposé une de ses nourrices. Elles étaient pleines de lait. Forcement elles ont toutes fait des gosses en même temps... Apus aussi lui a proposé son lait... mais ta mère a refusé toutes les aides. Elle disait que tu étais à moitié humain et que tu devais vivre parmi ton peuple...
— C'est qui Ristram ? Demanda Arion curieux d’entendre un nouveau nom.
— C'est mon Roi ! Rétorqua le nain emplit d'une profonde fierté. Un vrai guerrier ça oui ! Pas rachitique comme l'elfe. Il a de vrais bras lui ! Et une hache ! Il décrivit de grands gestes avec ses mains pour justifier l'ampleur et la véracité de ses propos. Enoooooooorme ! Il est généreux comme mon ami Balgard ! Un vrai roi comme on en fera plus. Mais c'est un nain alors ta mère a jamais voulu d'son aide... C'est pour ça qu't'es si maigre. Avec nous tu serais devenu robuste... Mais bon, c'est du passé tout ça.
Einkill plongea sa tête dans sa chope pour la vider à moitié et n'en ressortit que pour voir Arion s'étouffer avec le peu de liquide amer qu'il avala.
— Ça aussi t'aurais appris à l'apprécier chez nous ! scanda-t-il écroulé de rire.
— Mais alors, tout le monde savait pour moi... Pourquoi avoir fait mine de le découvrir ?
— Nan, pas tous, seulement les nains et les Galaxies. Quand t’es entré en contact avec l'Impératrice de la Mort, quelqu’un a mis Balgard au courant de ton existence. Cette créature estimait surement que l'heure était venue d'partir à nouveau en guerre.
— Et cette personne, je suppose que vous savez qui c’est. Je me trompe ? Vous avez l’air de savoir beaucoup de choses.
Einkill lui parla de la Haute Maison des Dragons, de ses liens étroits avec les humains. Il lui raconta qu’au temps de la Première Guerre lces deux peuples combattirent côte à côte pour la sauvegarde des Terres Uniques. Depuis lors, les souverains de Daroh la Grande sont visités en rêve par celui qui veilla sur l’antique reine Dariah. Ce dragon, que nul ne vit jamais, apparait lorsque vient l’heure pour la cité des hommes d’illuminer d’espoir les coeurs des races mortelles. Il lui conta également les liens qui unissaient les nains à la Haute Maison des Dragons et lui apprit que le sanctuaire où demeure l’Impératrice du Ciel et des Océans était l’oeuvre des nains. 
— Donc en gros un dragon a prévenu mon roi et lui a révélé mon existence ? Je comprends mieux maintenant... Et concernant mon autre identité ? Je suis Kalicha à ce qu'il parait ?
— Ça non ! Jamais ! Kalicha est mort, seulement il habite ton esprit, juste le temps qu'ta mission soit accomplie. M'enfin, on pourra être sûr qu'après t'avoir testé. J'sais, fais pas cette tête déconfite. J'connais qu'une seule personne qui pourrait dire si t'es celui attendu pour nous sauver...
— Vous sauver ? Il faillit s'étrangler sous le coup de la surprise. Mais je ne comprends pas. Vous êtes fort et vous avez des armées avec vous ? Pourquoi envoyer un gamin ?
— Parce qu'on peut pas vider nos terres de nos guerriers... Réfléchis que fera l'enn'mi s'il sait qu'on est tous partis ?
Arion réfléchi un instant à cette question, puis les mots coulèrent à flot, sans qu’il puisse les retenir :
— Il attaquera en force les points stratégiques, prendra les ports, les grandes cités, ordonnera un blocage des grandes routes marchandes et finira par contrôler le territoire. 
— Tu vois qu’tu commences à comprendre pourquoi ! S'exclama le nain enthousiaste.
— Expliquez-moi comment j'ai su tous ces détails... Je veux dire je n'ai jamais suivis de formation... et pourtant c'est bien moi qui parlais là non ?
— Cherche pas, c'est inné en toi. Si tu es bien la bonne personne, tu te découvriras encore bien plus de dons. Faudrait qu'j'te mette devant une carte un d'ces quatre, ça devrait être intéressant. Einkill réceptionna la nouvelle chope emmenée par le tavernier et noya son nez dedans, il en ressortit la barbe imbibée de mousse. 
— Alors, reprit-il après avoir avalé son breuvage, t'as d'autres questions gamin ?
— Oui, on m'a parlé à plusieurs reprises d'une dénommée Solstyce. Qui est-elle exactement ? 
Le nain vida son bock d’un trait, s’essuya la bouche et plongea ses petits yeux sombres dans ceux du jeune homme.
— Tu sais c'que c'est cette femme ?
— Vaguement...
— La dompteuse de dragons. Avec le peuple d'Ôma, c'est la première création d'ce monde. Une beauté à c'qu'il paraît. J'vais t'dire une bonne chose gamin, quand elle r'viendra j'voudrais bien la rencontrer.
— Mais c'est qui, ou quoi, exactement ?
— Bein, j'sais pas trop en fait, on dit qu'elle est la reine du peuple des dragons, protectrice de l'humanité, la compagne de Kalicha. Après j'saurai pas t'renseigner plus. Elle demeure un mystère. Y'a qu'le roi dragon qui la connait vraiment. On suppose, qu'comme toi elle s'est réincarnée, mais pour l'moment on sait pas dans le corps d'qui... C'est un problème ça pa'cque sans elle on pourra pas aller bien loin... Si elle revient pas, les fils de l’impératrice sortiront pas d'leur retraite et ça f'ra comme avec ton père. Un échec cuisant, une nouvelle raclée pour les déesses et la fin d'not' mondes.
— D'accord donc je ne peux rien faire sans cette fille. Et en imaginant qu'elle est revenue, c’est qui mes ennemis ? Qui sont ces démons ? Je veux dire, comment ça se passera quand je serai devant eux ? Où est leur territoire ?
— Hola gamin ! Une question à la fois. Faut qu'tu saches qu'on ne sait pas grand-chose sur eux... Moi, j'connais juste l'nom d'leur chef. Le Dieu-Démon comme tout l'monde l'appel. C'est Pheltra Goism. Y'a plusieurs légendes sur lui, beaucoup d'histoires, au final, on sait pas trop pourquoi il est là, mais on sait seulement qu'il n'devrait pas y être. Alors les déesses tentèrent de l'anéantir à c'qui paraît. Moi j'y crois pas trop... J'pense qu'y a aut' chose, mais on le saura p't'être jamais. Sauf si tu vas au bout d'la mission gamin. Les réponses sont sur la route et à sa fin tu connaîtras la vérité. Mais j'pense pas qu'on t'la dise avant...
— Je ne comprends pas trop cette partie de l'histoire. Il serait plus puissant que les Quatre Divines ?
— Moi j'y crois pas aussi gamin j'te rassure. J'pense qu'y a quelqu'un d'aut' au d'ssus de ce satané Dieu-Démon. Tu vois c'que j'veux dire ? Que ce Pheltra machin chose s'rait qu'un pion en vérité. Enfin c'est mon avis. Mais j'pense que les enn'mis véritable d'not' mondes sont d'une nature plus dangereuse qu'un démon.
— Vous pensez à quoi comme menace ? Demanda Arion qui buvait les paroles de son compagnon.
— Des mortels, des humains comme toi.
— HEIN ? Non vous avez trop bu c'est pas possible...
— Tu sais pas c'que les hommes peuvent faire, porté par la folie, ça s'voit qu't'as pas vécu. Moi j'te l'dis gamin et souviens-toi des paroles du vieux Einkill : Not' Dieu-Démon est un pion. La véritable menace est mortelle, elle est pire. Après c'est un avis personnel, j’t'engage pas avec moi gamin, mais il faut étudier toutes les possibilités pour pouvoir être efficace et prêt à agir si besoin. J'suis général des armées d'mon roi, c'est ma mission d'envisager toutes les possibilités. Maint'nant on m'crois ou pas ça m'regarde pas. Mais souviens t'en c'est tout.
— D'accord... Ça paraît dément, mais justement, c'est peut-être parce que ça a l'air impossible que ça pourrait être réel.
— Allons gamin changeons de sujet nous rediscuterons de ça en lieux clos tu veux ? T'as d'aut' questions ? 
— Une dernière et après c'est bon. Quand Mordreka m'a parlé et marqué, elle a mentionné d'autres noms. Je ne m'en souviens plus, mais c'était des noms de femmes aussi. Quatre noms, je crois.
— Ha oui ! Bien ça c'est tes guerrières personnelles. Comme une garde rapprochée. Ton père l'a eu aussi sauf que maint'nant elles dorment. Les déesses qui restent les ont endormis dans leur royaume. Tu devras les réveiller, elles t'aid'ront. C'est des elfes formés par les Quatre Divines. 
Arion marqua une pause, songeant à tout ce qu'il venait d'apprendre. Soudain une sombre pensée troubla son esprit. Le nain le lut sur son visage et posa une main calleuse sur la sienne.
— P'tit, fais-toi à l'idée qu'tu r'verras p'tet' plus jamais tes proches.

*

— Tu le savais et tu ne m'as rien dit ! Comment as-tu pu garder un tel secret ? Comment as-tu osé trahir notre alliance ?
— Je n'ai trahi personne Alfard ! J'ai simplement respecté la volonté d'une de mes sœurs ! Qu'aurais-tu fait à ma place ? 
— Regarde où nous en sommes à cause de ce foutu serment ! Il nous croit à peine ! Il n'est pas prêt à affronter ce qui l'attend ! Il ignore tout du monde en dehors de son village et de la cité ! Et vous voulez l'envoyer au massacre ! Quel genre de femme es-tu ?
— C'est à moi que tu poses cette question? À MOI ! Mais c'est plutôt à toi qu'il faudrait la poser mon seigneur ! N'as-tu pas commis le même péché que cette pauvre femme ? N'as tu pas abandonné ta chair ?
— Silence ! Ne parle pas de chose que tu ignores ! 
— Je n'ignore rien ! Au contraire, je sais que tu caches un lourd secret mon doux roi. Qu'il est beau le seigneur Alfard à la tête de son peuple ! Tout le monde l'admire, mais moi je le méprise et ce n'est que par respect pour Balgar que je te tolère dans notre alliance ! 
— Écoute-toi pauvre femme ! Tu parles comme si le monde entier devait t'obéir ! Mais nous sommes tous libres de nos choix ! 
— Je ne te pardonnerai jamais ce que tu as osé me faire il y a maintenant quinze ans ! Rugit-elle. « Jamais tu m’entends ! Tu n'avais pas le droit ! Jamais je ne me suis sentie humiliée à ce point ! Comme Ketlais tu as menti ! Comme lui tu caches ta descendance ! Comme lui, tu oublies ceux que tu as aimés ! À moins que tu n'aies fait que jouer avec moi ! Mais je ne suis pas une putain de quartier Roi Alfard, je suis souveraine demi-déesse ! 
Elle se tourna bouillonnante vers Balgar. « Tu veux savoir ce que ton ami cache depuis quinze ans? 
— Je ne désire pas être mêlé à vos histoires je voudrais juste m'assurer que vous ne détruisiez pas ma cité. 
— Je ne te laisse pas le choix, cela faisait tellement longtemps que cela me démangeait mon cher amant ! Ton secret va être levé ! Le monde connaîtra la vérité et la honte que j'ai subie a ton contact ! 
— Calme-toi Apus tu deviens hystérique. Ne pourrions-nous pas régler cette affaire ailleurs, en privé ?
— Non ! Qu'on en finisse ici et maintenant !
— Je t’interdis de proférer un seul mot femme ! 
L'épée au point elle se rua alors sur lui. L'affrontement ne dura que quelques secondes. Aveuglée par sa colère Apus s'était laissé dominée par le seigneur des elfes. Alfard tenait sa vie sur le tranchant de sa lame quand elle s'écroula en sanglots incontrôlés. Il lâcha son arme et prit la belle tête argentée entre ses bras dans une étreinte passionnée, qu'elle lui rendit, avant de relever son visage et de lui demander entre deux sanglots :
— Ne m'as tu donc pas aimée cette nuit-là ? Quand tu murmurais à mon oreille à qui pensais-tu si ce n'était moi ? Mon corps en garde encore intact le souvenir... Tu m'as aimée, j'en suis sûre... Tu m'as tant aimée... Mais pourquoi ? Pourquoi m'avoir repoussée par la suite ? Comme une enfant perdue, la souveraine des Galaxies s'accrocha frénétiquement à son cou. Après toi, nul homme n'est plus venu dans ma couche... Tu m'as brisée... Tant de bonnes choses auraient pu naître de cette union... Pourquoi l'avoir anéantie ?
Le seigneur elfe la prit par les épaules et passa une main tendre sur sa joue.
— Je ne t'ai pas haï si c'est ce que tu t’imagines, seulement il me fallait m'éloigner de vous. Cette nuit-là je t'ai aimé comme au premier jour de notre rencontre. Pourtant je suis parti. 
Balgar n'en croyait pas ses yeux et ses oreilles. Ceux qu'ils prenaient pour d'éternels ennemis étaient en réalité deux amants rongés par leur amour. Soudain, il comprit bien des choses en voyant Alfard caresser tendrement la reine des Galaxies. Et quand Apus posa son regard sur lui il se rendit compte de l'ampleur de cet acte né d'un désir intense et partagé. Cette union, interdite par les traités des peuples de la forêt, pouvait mettre en péril l'alliance si un enfant était né de ce corps à corps. Le plus lourd secret d'un roi. Un enfant illégitime. Alfard et Apus en feraient les frais, il le savait pertinemment. Mais que pouvait-il faire sinon attendre que la vérité éclate au grand jour ?
— Pourquoi ? Poursuivit Apus qui reprenait peu à peu son calme. Pourquoi être parti quand nous avions tant besoin de toi ?
— Il est des choses que tu ignores, même si tu demeures la Mémoire, l'avenir ne t'est pas accessible. J'ai vu ce que serait l'enfant que tu portais au moment où il a été conçu. Et lorsqu’enfin tu l’as mis au monde, ma certitude s'est renforcée pour devenir réalité. Peut-être aurais-je dû te le dire avant.
— De quoi parles-tu ? Notre fille est normale. Elle est la plus puissante de mes guerrières, possède tes dons de magie et de communion avec notre monde. Elle parle le langage des esprits. Elle est parfaite, pourquoi y aurait-il une ombre à ce tableau ?
— Tu te voiles la face Apus. Ne l'as-tu pas compris quand tu l'as mise au monde ? N'as-tu rien vu du passé ? N'as-tu rien ressenti à part la douleur de l'enfantement ?
Apus réfuta toutes les accusations, tous les propos du roi des elfes. 
— Tu mens. Tu sais qui elle est. Seulement tu refuses de l'admettre. Tu l'as su à sa naissance, tu en as eu la certitude la première fois qu'elle est montée à cheval, la première fois qu'elle s'est armée. À son premier combat, à sa première chasse. Tu savais aussi que je ne pouvais pas revenir avant qu'elle n’ait atteint sa maturité. Elle était instable et nos deux pouvoirs combinés auraient mis en péril l'équilibre de la forêt étoilée. N'oublie pas que j'en suis le gardien. Je ne pouvais pas prendre ce risque...
— Tu te cherches toujours des excuses ! Pas une seule fois tu n'as été honnête ! Pas une seule fois tu n'as dit la vérité ! Dis-le mon seigneur ! Cracha-t-elle la rage au ventre. Dis tout haut ceux que nous pensons tout bas ! Révèle-nous ce si terrible secret ! Cette certitude qui te broie les entrailles depuis que tu m’as prise ! Depuis que je t'ai laissé venir en moi ! 
— Comment peux-tu penser une seule seconde ce que tu dis ? Tu me déçois...
— Ha ! Maintenant c'est moi qui déçois ! Chacun son tour elfe ! Quel effet ça te fait d'être haï par ceux que tu aimes ?
— Bon... Mes amis... je vous en conjure, cessez ces enfantillages et expliquez-vous enfin une bonne fois pour toutes... Je suis las de cette attente et mon cœur est fragile... Vous allez me tuer avant l’heure...
— Tu n'avais qu’à mourir quand ton heure avait sonné au lieu de te plaindre à présent ! 
— Je ne te permets pas douce reine ! S'énerva à son tour Balgar. Je n'y suis pour rien dans votre querelle. Je souhaiterai simplement que vous y mettiez un terme. Que l'on puisse passer à autre chose ! 
Affalé dans un fauteuil, Balgar ne donnait pas une grande impression à ses invités. Mais l'intonation de sa voix indiquait clairement qu'il ne leur laissait guère le choix, et qu'en qualité d'étranger à la cité ils devaient se plier aux exigences du vieux souverain. Cela faisait partie des convenances, et si très peu d’entre elles étaient effectivement respectées, celle-ci devait l'être aujourd'hui. Les deux amants le comprirent. Derrière son visage usé et sa barbe grisonnante, Balgar demeurait un grand guerrier et un homme de persuasion redoutables. Ils s'en méfiaient. 
— Que veux-tu que nous te disions de plus ? Vociféra Apus. Que nous avons partagé la même couche une nuit ! Que j'ai enfanté ! Que nous avons une fille ! 
— Mais c'est merveilleux, ironisa le vieux roi, et comment s'appelle-t-elle cette princesse surprise, que je n’ai toujours pas eu l’honneur de rencontrer ?
— Larya... répondit Alfard et elle est âgée d'un an de plus qu'Arion. Elle est comme lui... 
— Comme lui ?
— Oui mon frère comme lui.
— Tu n'es pas sérieux ?
— Je ne plaisante pas sur ce sujet.
— Tu le savais Apus ? questionna Balgar intrigué.
— Non.
— Tu mens. Tu l'as su plus tard que moi, mais tu en as eu connaissance.
— Et qu'est-ce que ça change ! s'emporta-t-elle à nouveau.
— Tu l'as formé ? poursuivit Balgar.
— Oui. Sa formation est achevée.
— Et... est-elle au courant de ce qu'elle est ?
Après qu’Apus eut répondu à toutes ses questions, Balgar demanda à Alfard de mener sa fille à Daroh, afin de la confronter à Arion. 

*

Alfard quitta le palais en fin de matinée. Rapidement il traversa les villages, camouflé sous une large cape de cuir usée et arriva à l'orée de la forêt étoilée. Son domaine. Là, il descendit de sa monture et posa sa main sur un jeune arbre. Prononçant quelques paroles dans sa langue natale, il donna un ordre bref, mais précis et poursuivit sa route vers le nord. Inexorablement, il s’approchait de Randvish, la cité des Galaxies. Il s'arrêta bien avant de passer leur frontière et fut rejoint par un guerrier elfe. Lui aussi camouflé sous une large cape.
— Alors ? C'est le jour tant attendu ?
— Comment te portes-tu Amalak depuis mon départ ?
— Assez mal je dois dire. Ton trône est très inconfortable...
— Je ne t'ai pas donné la permission de t'y installé il me semble.
— Bof... Qui m'en aurait empêché… J'ai autant d'autorité que toi parmi notre peuple même si je ne suis que ton général.
— Je sais et c'est bien pour cela que je te confis mes tâches les plus ingrates.
Suivant son ami, Alfard s'enfonça un peu plus sur le territoire des Galaxies. L'air semblait plus lourd et soudain les chevaux cabrèrent renversant leur cavalier. Difficilement, les deux frères d'armes se relevèrent et jugèrent leur environnement.
— Les arbres sont peu coopératifs ici on dirait. râla Amalak.
— Ils ne sont plus sous notre contrôle. 
— Que veux-tu dire par, « plus sous notre contrôle ? », qui pourrait les contrôler si ce n'est un elfe ?
— Une demi-elfe...
En guise de réponse une branche s'abattit sur eux, mais l'esquive fut rapide et les représailles terribles. Amalak brandit son épée et la trancha d’un coup sec. Alfard toujours accroupi guettait sa proie. Quand enfin il sentit sa présence, il se releva et, calmement, se dirigea vers elle. Amalak, l'arme au poing, lui dégageait la route. Une main en avant, la paume vers son adversaire, le seigneur elfe envoya une légère onde d'énergie qui propulsa l'ennemi hors de sa cachette. Mais un second danger survint, plus redoutable encore que le premier. Amalak sembla s'en réjouir et planta son épée au sol pour s'incliner face au nouvel arrivant.
— Nos combats me manquaient, douce Sagitta.
— Amalak ! cracha-t-elle comme si ce nom la faisait vomir. « Que viens-tu faire ici si loin de tes terres ? Tu veux te reprendre une raclée ? 
Elle rit aux éclats passant sa main libre dans ses cheveux ténébreux. 
“Comme elle est belle, dommage qu'elle soit née galaxie”. 
Percevant ses pensées, Sagitta fit jouer sa dague. Plongeant ses yeux mauves dans ceux de l'elfe, elle sourit et se jeta sur lui. Les lames tintèrent, se heurtèrent. Puis reprenant ses distances Sagitta lui dit d'un ton arrogant :
— Nul ne peut s'approcher impunément de la princesse. Qu'importe qu'il soit son père ou non vous devrez d'abord passer par moi. 
— Allons, allons. Tu sais aussi bien que moi que tu ne peux t'opposer à ce qu'Alfard voie sa fille. D'autant plus qu'il est déjà auprès d'elle. Alors, reprenons notre petite lutte et amusons-nous en les attendant.
Elle le toisa de la tête aux pieds et, à nouveau, se rua sur lui. Vivacité, force et détermination. Tout était pour elle. Tout, excepté la magie. Amalak profita de cette faiblesse de son adversaire et déchaîna son pouvoir. Son épée ordonnait aux arbres et bientôt elle fut prisonnière d'une armure végétale.
Fière et rebelle elle dit en un souffle :
— Tu as gagné pour cette fois. Relâche-moi maintenant. Ce combat ne mène nulle part. Ni l'un ni l'autre ne souhaitons mourir.
— Exact ! Répondit triomphant le général elfe. Néanmoins, tu attendras ainsi que ta princesse revienne. 


*

Un peu plus loin Alfard retrouva sa fille. Le choc l'avait légèrement sonné, mais rien de grave, jugea-t-il en la voyant. Étonnée, elle se releva brusquement et porta la main à ses armes. D'un geste Alfard lui ordonna de les lâcher. Déterminée, la princesse ne se laissa pas impressionner et brandit une lourde épée. Furieuse de s'être ainsi fait balayer, elle courut dans sa direction prête à le trancher en deux. Du moins, telle était l'image qu'elle se faisait de son géniteur à cet instant précis. Intérieurement elle rageait. Elle savait pertinemment que ce qu'elle allait faire était interdit. Nul sujet d'un roi ou reine ne pouvait lever la main sur le seigneur allié de ces derniers. Ce qu'elle fit sans remords. Mais, son père fût plus rapide qu'elle et la désarma d'un coup précis. Incrédule elle regarda son épée joncher le sol. Elle était lamentable. Elle savait que cette arme ne lui convenait pas. Alors, pourquoi l'avoir prise ? L'instinct de vengeance sûrement. 
— Il suffit Larya ! Nous avons assez joué. Ta mère souhaite que tu viennes à la cité de Daroh. Le roi Balgar cherche à te rencontrer.
— Pourquoi n'est-elle pas venue en personne ?
— Parce qu'elle a encore quelques petits détails à régler et que je suis ton père que tu le veuilles ou non. C'est donc à moi que revient la pénible charge de te convaincre de m’accompagner au palais.
“Non, mais pour qui se prend-il cet elfe ! hurlait-elle intérieurement. Comment peut-il s'adresser à moi de cette manière ! Je ne suis plus une gamine !” 
— Suis-moi ! Tu as été défaite en combat singulier, tu dois, selon la règle, accepter la requête du vainqueur.
— Je sais tout ce qu'il y a à savoir sur les règles des combats loyaux. Pour qui me prends-tu ! Cracha-t-elle les nerfs à vif. “Je ne suis pas celle que tu crois. Je suis plus puissante que toi. C'est à toi de m'obéir ! 
— Tu es bonne comédienne. Mais si tu te dis si forte pourquoi ne pas m'avoir terrassé ? 
Piqué au vif elle ferma ses grands yeux noirs et se concentra un instant. L'air frémit autour d'eux et Alfard comprit qu'elle invoquait la force de la Grande Nuit. Le soleil se voila derrière d'épais nuages et le ciel se parsema d'étoiles.
— Tu ne devrais pas user de ce pouvoir ma fille. Si tu sais qui tu es et ce que tu portes alors tu ne dois pas ignorer que cette puissance est disproportionnée par rapport à tes capacités actuelles. Tout ce que tu réussiras à faire c'est détruire la forêt.

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